textes: Lara ORSAL
photos: Rod MAURICE
article original sur: ARTE Concert

Live-Stories ARTE Concert

LES INROCKS FESTIVAL 2016 : Jour #01, le français revisité

par Lara Orsal

C’est à La Cigale, qui n’a que cent ans de plus que LES INROCKS Festival, que nous décidons de poser nos caméras ce week-end : l’hebdomadaire Les Inrockuptibles y fête ses 30 ans cette année, entre autres salles investies, comme toujours, en province et à Paris. Aujourd’hui, c’est la nouvelle génération de la pop française qui est mise à l’honneur.

On se retrouve au point névralgique du festival dès qu’on arrive à La Fourmi, le bar attenant à la salle : ici on a installé un studio de France Inter qui émet en direct, ici on s’entasse dans la régie pour les captations des concerts retransmis en live, ici s’agitent les professionnels des labels, attachés de presse, journalistes, photographes, tourneurs et producteurs de spectacles qui sont venus soutenir leurs artistes et en découvrir d’autres, ici aussi, dans quelques heures, les festivaliers discuteront entre deux concerts, en levant leur verre comme il se doit. Cette année, pour sa 29ème édition, l’affiche du festival des Inrocks fait volontairement la part belle à la découverte : la majorité des artistes programmés n’a pas encore sorti d’album, les spectateurs rencontrent donc souvent pour la première fois leurs propositions musicales et scéniques. Et c’est un public « étonnamment chaleureux pour des Parisiens », peut-on entendre ici ou là, qui accueille à bras ouverts chacune des prestations de ce vendredi.

La première à se mesurer à la scène est la très attendue Juliette Armanet. Cela fait des mois que le milieu musical bruisse des rumeurs les plus folles la concernant : elle serait une Véronique Sanson sous speed, composerait des chansons qu’on croirait échappées du répertoire d’un Michel Berger du 21ème siècle, mais elle serait bien plus que cela, bien sûr, pleine d’humour dans sa musicalité, aimant bavarder avec son public comme on badine avec l’amour, et revisitant la pop chantée en français sous un angle nouveau, décomplexé et amusé. On a comme une envie de confirmer, après son show d’une redoutable efficacité : trente minutes pour convaincre, ou plutôt, pour séduire un public qu’on vient à peine de rencontrer, c’était le défi du jour, elle l’a relevé ! Juchée derrière son piano démesuré, conçu par un ami ébéniste puis cousu-main de cheveux, et soutenue par des musiciens qu’on a déjà vus dans d’autres projets, notamment Ricky Hollywood (ex-La Féline) à la batterie, Juliette déclare ses intentions : de l’amour et du rire, cette forme d’élégance qu’est le sens de la dérision. Sortie de scène, elle nous rejoint pour un portrait qu’on lui demande de parapher : être incorruptible, comment le définit-elle ? « Être Sans Dieu, Ni Maître » écrit-elle sur le Polaroid.

Juliette Armanet  © Rod Maurice

Juliette Armanet © Rod Maurice

C’est déjà l’heure d’avoir l’heur de voir Her ! Pas vexés que les Anglais les aient découverts avant les Bretons, nous sommes prêts à vérifier la réputation qui les précède. Ils seraient diaboliques d’un dandysme nouveau genre, comme échappés d’une neo-Belle Epoque fantasmée, sinon d’une Nouvelle-Orléans période prohibition, et on ne serait pas non plus étonnés s’ils venaient de la lubrique Las Vegas. De plus, leur soul electro friserait la perfection sonore. Pas faux. Mais c’est le moment qu’on passe avec eux pour leur tirer le portrait qui nous donne sans doute la meilleure définition les concernant : interrogés quant à leur vision du terme ‘incorruptible’, ils nous parlent du film « Lancelot, le premier chevalier », dans lequel Sean Connery jouait le rôle du Roi Arthur, et Richard Gere celui de Lancelot. On leur propose de les incarner à leur tour, voilà le Pola !

Her © Rod Maurice

Her © Rod Maurice

Un tour en coulisses plus tard, où les changements de plateau n’ont que dix minutes pour se faire, où l’on observe concrètement ce que veut dire l’expression d’une ‘mécanique bien huilée’, on est ultra-reboosté par l’énergie que tous déploient derrière les rideaux rouges, entre les câbles et les escaliers métalliques. Quelques marches plus tard, c’est le Paradis qui nous est promis ! Après s’être fait connaître par une reprise inspirée de « La Ballade de Jim » d’Alain Souchon, le duo en est au moment, souvent impressionnant, du premier concert à Paris. On reconnaît sur scène avec eux, Victor Le Masne (Housse de Racket), déchaîné à la batterie. On voit mieux aussi de quoi Simon Mény et Pierre Rousseau nous parlaient dans l’après-midi, peu après leurs balances : l’appréhension mais le refus de la cacher, la vulnérabilité d’avant l’entrée en scène, et le point d’équilibre que l’on trouve dès que chaque machine a bien fonctionné, une fois le concert lancé. Le truc avec le trac. Et c’est vrai qu’ils ne sont pas ce qu’on appelle des bêtes de scène, et qu’on peut tout à fait se passer de l’être : leur musique parle vraiment pour eux, l’audience est concentrée sur l’audio et non le visuel, et se laisse emporter plus loin que prévu, là jusqu’où les morceaux s’étendent, dans des mélancolies volontaires, électroniques et enlevées.

Le scoop du jour, c’est Lescop nouveau. On le savait doué, depuis que dix ans que ce garçon dérangéoccupe les scènes d’ici et d’ailleurs dans divers projets, mais on n’avait pas encore vu quelle ampleur d’être il allait prendre, et on ne s’attendait pas forcément à le découvrir devenu si lumineux. La détente de son sourire vers la fin du show, comparée ce qui émanait de lui juste avant qu’il n’aille sur le plateau, véritable boule d’énergie concentrée en un corps tendu, nous a permis de mesurer le plaisir qu’il venait de prendre sur scène. C’est un concert parfait que lui et ses musiciens, excellents, ont livré, on ne va pas tourner autour du mot. Lescop donne l’impression, paradoxale, de maîtriser le lâcher-prise. En moins d’une heure (le temps file toujours trop vite quand on oublie enfin de s’en soucier), on a eu l’impression de refaire connaissance avec un familier, pas vu depuis longtemps, le retour du fils prodigue, et prodige par la même occasion. Mais au moment où surgit La Forêt, c’est à la statue du Commandeur de Don Juan qu’on pense en observant Lescop : le mec a vraiment pris une stature impressionnante, ou c’est nous qui ne l’avions pas vu dès le début. Ce qu’on a revu, en revanche, et qu’on doit s’attendre à voir de plus en plus, c’est sa félinité. Grrraou !

Lescop @ Les Inrocks Festival

par Rémy Grandroques