textes : Lara ORSAL
photos : Rod MAURICE
Article original sur ARTE Concert
Live-Stories ARTE Concert
LES INROCKS FESTIVAL 2016 : Jour #04, retour au Bataclan
par Lara Orsal
La dernière soirée parisienne du festival LES INROCKS nous promettait du blues dans tous ses états, avec Seratones, The Lemon Twigs et Tinariwen à l’affiche. Elle nous promettait des bleus au cœur et des états d’âme aussi, on ne s’en cachera pas, puisqu’on retournait au Bataclan pour la première fois depuis les événements tragiques du 13 novembre 2015.
Si chacun d’entre nous est concerné par l’attentat du Bataclan, il faut avouer que les personnes qui travaillent dans le monde de la musique ont toutes perdu des proches. Nous arrivons au Bataclan à reculons, emplis du souvenir de nos amis et de tous ceux dont les vies ont été volées, les uns dans l’appréhension de ce qu’ils vont ressentir, les autres pas encore à l’aise avec l’idée d’y danser à nouveau. On ne se regarde pas de la même manière que d’habitude en se croisant dans les coulisses, on ne cache pas nos larmes bien que par pudeur on les sèche vite, et on est nombreux dans ce cas… La salle a entièrement été refaite à neuf et à l’identique, ça laisse une sensation étrange. On ne peut pas ne pas y penser, on ne peut pas ne pas en parler, l’émotion est trop intense pour la passer sous silence. Plus tard dans la soirée, on reconnaît dans la foule des amis, revenus pour conjurer le sort qui fut le leur en ces lieux, et on admire leur courage avec un immense respect. Eux sont capables de sourire au premier rang, on doit l’être avec eux. Alors, plongeons.
Peu avant leur show, les Seratones nous ont donné l’occasion d’un fou-rire salvateur en loge, se comparant à des animaux quand ils sont sur scène : la chanteuse-guitariste serait une ourse ou une abeille, le guitariste un lion, le bassiste un ragondin et le batteur, une pieuvre. On aurait aimé pouvoir les filmer à ce moment-là, que vous voyiez ça ! Mais vous regarderez peut-être leur replay d’un autre œil, sachant cela. Leur concert est un gros shoot d’énergie d’entrée de jeu : le groupe a l’air de jouer ensemble depuis toujours, va chercher le public, jusque dans la fosse, et leur plaisir est communicatif. C’est plutôt brut de décoffrage, punk-rock et soul comme un blues de garage, on pense aussi aux Alabama Shakes, mais version Louisiane. Parfait pour ouvrir la soirée. Comment rester incorruptible selon eux ? On vous laisse deviner qui nous a répondu que c’est « en buvant du miel, du miel, du miel ! »
Deux frères de 18 ans de moyenne d’âge, Brian et Michael D’Adarrio, accompagnés d’une bassiste et d’un batteur, forment le groupe The Lemon Twigs. C’est le duo fondateur qui se fait remarquer, l’un semblant être la réincarnation de Pete Townshend dont il va jusqu’à mimer les tics, l’autre la réplique de Keith Moon, bref, on croirait voir The Who. Parfois aussi, on croirait entendre Supertramp. Et d’autres références sont citées dans la fosse, The Kinks, T-Rex et même les Beatles mais on n’ira pas jusqu’à le leur reprocher, ils sont si jeunes… Et ça prend toujours un certain temps, de digérer ses influences. On salue volontiers leur sens de l’entertainment et la performance, car ils ne ménagent pas leurs efforts et leurs effets, dansant d’un bout à l’autre de la scène tout en jouant de la guitare, échangeant leurs postes régulièrement, ils jouent les multi-instrumentistes avec talent. Quand on leur a demandé leur définition du terme ‘incorruptible’, ils nous ont répondu : « The best thing you can be! »
Connaissez-vous l’Adrar des Ifoghas, massif situé entre Algérie et Mali, dans le désert du Sahara ? C’est le territoire dont vient le groupe de rock touareg Tinariwen. Les musiciens ne peuvent plus ni enregistrer, ni jouer chez eux, à cause de l’insécurité qu’a imposé l’islamisme guerrier dans la région. On se doute qu’être au Bataclan aujourd’hui les touche profondément. Comme poursuivis par le mal, où qu’ils jouent. Dès qu’ils montent sur scène, l’émotion est palpable dans la salle. Ponctuant le public de leurs habits traditionnels, des spectateurs parlent une langue qui nous est étrangère, et on n’ose les interrompre, bien que la curiosité ne manque pas de savoir ce qu’ils ressentent ce soir. La réponse vient vite. Elle est dans la danse, la même pour tous. Le public se mue en une vague d’ondulations, tandis que les mains marquent le tempo, se laissant aller à ce blues en transe venu du pays de la belle-étoile. C’est très beau, et intense.
Peut-être un peu trop pour nous, l’état de fatigue avancée n’aidant pas, les états d’âme à danser, déjà, sur ce plancher-là non plus. Chacun son rythme. On s’échappe de la salle peu avant la fin. Un dernier regard vers la plaque et les deux roses blanches déposées, mais pas une dernière pensée, jamais. Encore des pensées. Des pensées, toujours.