textes : Lara ORSAL
photos : Rod MAURICE
Article original sur ARTE Concert
Live-Stories ARTE Concert
LES INROCKS FESTIVAL 2016 : Jour #03, le choc des générations
par Lara Orsal
Troisième et dernière journée à La Cigale pour LES INROCKS FESTIVAL, car demain nous retournerons au Bataclan. Ce dimanche est pluvieux, et le public est plus vieux : pas étonnant quand on sait que la tête d’affiche, Cassius, occupe le terrain depuis déjà vingt ans, soit l’âge, environ, des autres artistes programmés ce soir, Adam Naas et Formation.
Bonjour, fatigue ! On arrive chaque jour un peu moins frais dans la salle, mais toujours aussi enthousiaste, on ne se plaint pas ! Les traits des équipes sont de plus en plus tirés, il y a comme une ivresse des corps, qui puisent dans les réserves, pour maintenir l’énergie au niveau minimal nécessaire au travail. Sacrés métiers. Il y a beaucoup de rires, les cadreurs débriefent de la veille, quel angle caméra était meilleur à tel moment, telle grue fait vraiment mal au dos, tel artiste a bluffé tout le monde visuellement, quelle focale est la plus adaptée, qui a pris ma batterie ? On vous passe le vocabulaire technique, formant un langage exotique, entendu en régie. Si l’on découpe la salle en deux, c’est vraiment tout autre chose qui se passe en coulisses, et ça fait drôle de passer de la zone publique à la zone technique : deux mondes qui ne se croisent jamais alors que l’un n’existe pas sans l’autre, et vice-versa.
Nous avons rendez-vous avec Adam Naas pour lui tirer le portrait, le questionner, le faire rire… Et peut-être le détendre un peu, ce corps nerveux qui s’entortille et se triture incessamment, comme on se pince pour vérifier qu’on ne rêve pas. Adam Naas est touchant, profondément. Il ne joue pas l’esbroufe, il ne fait pas semblant, il confie ses incertitudes et ne semble redouter que le malentendu, il bouillonne d’envie et doute d’une saine humilité. Sur scène, il est tel qu’il nous le disait quelques heures plus tôt, très relié à ses deux musiciens-choristes et amis avant tout, sur lesquels il compte beaucoup pour créer une symbiose et partager cette énergie avec le public. Pari tenu, les spectateurs accueillent hyper chaleureusement cette voix, démesurément soul pour un être qui semble si frêle, se surprend-on à penser. Après son concert, on est d’autant plus curieux de découvrir ce qu’il va trafiquer, en peinture, en danse, en écriture et en scénographie, ses autres terrains de jeux du moment. À noter néanmoins, son objectif ultime est surtout de « toucher les fesses de JD Beauvallet », confie-t-il avec facétie sur son portrait-polaroid :
Et de JD, parlons-en, on l’a croisé très souvent pendant tout le festival, et on fini par l’alpaguer, ainsi que son acolyte photographe Renaud Monfourny, pour les soumettre au jeu. Après tout, qui de mieux que les co-fondateurs du magazine, désormais hebdomadaire, Les Inrockuptibles, pour répondre à notre question récurrente : aujourd’hui, c’est quoi, être incorruptible ? Le premier nous répond avec son éternel sourire en coin : « mon job de 30 ans ». Le second nous répond peu ou prou pareil : « c’est être le même qu’en 1986 ». Il est des passions qui passent outre les années !
Rendez-vous est pris ensuite avec Formation, ce duo de jumeaux anglais qui se mue en quatuor sur scène. Cette rencontre restera sans doute la plus belle qu’on a faite lors du festival, tant la ‘vibe’ qui émane d’eux est chouette et communicative : on sent qu’il s’agit avant tout d’un groupe d’amis, qui jouent ensemble depuis longtemps, notamment dans un style qui interdit tout orgueil déplacé, le jazz. Ils se connaissent par cœur et se réfugient dans cette intimité pour se concentrer avant leur show, mais ils ne s’enferment ni dans un cocon, ni même dans une mécanique scénique. Le mouvement permanent, c’est un peu ça l’idée. Le rock aussi, mais pas que. On pense parfois au Saul Williams des débuts, en moins énervé, mais en dehors de cela, aucune référence ne nous revient en découvrant leur son, inédit à nos ouïes, singulier. Une super énergie, beaucoup de musicalité, un plaisir de jouer ensemble qui crève les yeux, ils nous diront plus tard que le show était fou, le public fabuleux, qu’ils ont hâte de revenir jouer en France. Leur vision de l’incorruptibilité ? C’est qu’on est « mieux ensemble ! »
Cassius en coulisses, c’est le cool incarné. L’un fait des selfies-grimaces, l’autre plaisante avec tout le monde, ils paraissent d’une simplicité folle, tout l’inverse de la complexité de leur scénographie qu’on installe à côté. On voit passer des mètres et des mètres de plantes installées sur des racks à roulettes, et une immense réplique de volcan finit par occuper le plateau. Il y a aussi des jeux de lumières partout : impressionnant dispositif. Là, c’est sûr, on ne pourra pas dire que « le problème avec la musique électronique, c’est qu’il n’y a rien à regarder » ! Au contraire, ce qui nous attend, c’est un grand trip de jungle tropicale, avec des danseurs déguisés en grands singes sur l’avant-scène, au goût de ceux qui aiment le grand décorum. C’est une messe électronique qui clôture la soirée, on voit beaucoup de fans de la première heure littéralement extatiques, en plein revival : le visage du public a véritablement changé chaque soir et c’est très amusant. On est curieux de découvrir les festivaliers de la dernière journée, demain au Bataclan, et les fans de ceux qui nous y attendent : The Lemon Twigs, Seratones et Tinariwen !