BIOGRAPHIE
Peu après la tournée pour leur dernier album, Head First, Alison Goldfrapp et Will Gregory se sont retrouvés dans leur studio de Bristol, impatients de se mettre à travailler sur le sixième volet de leur impeccable discographie. Plus tôt que prévu, ils étaient prêts à unir leurs esprits et à refaire de la musique. Après des recherches personnelles et professionnelles considérables, Alison a alors réalisé que c’est lorsqu’elle était heureuse qu’elle pouvait s’autoriser à plonger dans un univers imaginaire. “Quand on est détendu et sûr de soi, on peut explorer des directions où l’on ne s’était jamais aventuré avant,” dit-elle. Il est donc assez inévitable que Tales of Us, son nouvel album-studio avec son complice musical et co-créateur Will Gregory, ait pris une tournure noire et qu’Alison affiche une forme insolente.
Le disque descend en ligne directe de Felt Mountain, premier album onirique, acoustique et David Lynchien de Goldfrapp et du chef-d’œuvre marquant du milieu de leur carrière, Seventh Tree. Comme Beck et Nick Cave avant eux, il y a toujours eu une division quasi schizophrénique dans la palette sonore de Goldfrapp : les rythmes obsédants de la machine à hits ponctuant « Strict Machine » et « Ooh La La », qui devaient beaucoup aux pulsations de l’euro-disco fétichiste et les extravagances du glam. Tales of Us est en partie le revers de cette facette. “Je suis de plus en plus attirée par l’intimité et la simplicité de la voix et de la guitare.”
La première chanson de Seventh Tree, « Clowns », est un précieux exemple de ce qui se passe musicalement sur Tales of Us. Il est parcouru de mélodies sinueuses jouées sur les touches noires du clavier, reflétant le parcours narratif, les cœurs qui ont vécu, aimé et blessé. Parfois, la voix et la musique sont indifférenciations. Pour « Laurel », elle se retrouve dans un registre bas. Pour « Jo », elle prend de la hauteur. Et elle suit toujours fidèlement le rythme et la structure de l’histoire. “Je ne veux pas avoir l’air trop théâtrale ou ridicule à ce sujet, mais j’ai vraiment l’impression d’être possédée.”
Le rythme ne s’accélère que sur le vibrant « Thea » et encore, il semble poursuivre la thématique de la chanson – un couple illégitime décidé à tuer la femme du mari infidèle. “Je me suis autorisée à être la femme ou l’homme dans la chanson.” « Thea » n’est pas la seule histoire criminelle de Tales of Us. Dans « Laurel », elle raconte le parcours d’une jeune actrice qui couche pour grimper les échelons de la gloire hollywoodienne et réalise que son petit ami est un meurtrier.
« Clay » parle de deux hommes qui se sont rencontrés en temps de guerre. “C’est une histoire vraie, dit-elle. Ils sont devenus amants et rêvaient de se revoir après la guerre, mais tragiquement, l’un d’eux est mort au combat. J’ai lu une lettre que cet homme a écrite pour l’anniversaire de la mort de l’autre, comme s’il s’adressait à lui. Elle m’a émue aux larmes. Le texte est tellement imagé, doux, touchant et absolument tragique.”
Rien dans leur catalogue ne laissait soupçonner cette richesse des textes toute nouvelle qu’Alison introduit sur Tales of Us. Toutes les chansons, à l’exception de l’obsédante « Stranger », sont à la première personne. Le casting de personnages sensuels ébauchés, les aventures amoureuses contrariées, le suspense, les hallucinations, les contes de fées, les légendes modernes et les traces de rédemption qu’ils trouvent en chanson entraînent la poésie de la pop délicatement conçue de Goldfrapp sur un nouveau terrain. “Je m’intéresse à l’horreur psychologique. Pas au sang et aux tripes. C’est trop littéral. J’aime l’horreur de l’esprit.”
Les accompagnements somptueux de ces univers narratifs en cinémascope les rendent merveilleusement habités. Quand le duo s’enferme pour composer un nouveau disque, il travaille autant par instinct que par décision, chacune de ses pulsions musicales dirigées par un sens commun de l’orientation. Si une grande part de la facette publique de Goldfrapp réside en sa chanteuse à la tête du groupe, ils soulignent l’importance de leur partenariat, où chaque impulsion artistique, à l’écriture comme à la production, est divisée en deux.
Pendant la tournée du dernier album, Head First – le plus direct, commercial et linéaire de Goldfrapp à ce jour – Alison a commencé, par un processus naturel d’osmose, à désirer être inspirée par quelque chose de plus profond ou intrigant. “Ce sont des histoires qui m’ont bouleversée, explique-t-elle. Je suis intéressée par l’idée de ne pas être une seule chose à la fois. Je n’arrive pas à comprendre cette notion.” La pop, quand elle excelle, est notoirement parfaite pour verbaliser le blanc et le noir de nos états émotionnels. Goldfrapp est notoirement doué pour trouver les zones grises.
La forme narrative des chansons issues de l’amour renouvelé d’Alison pour le cinéma et l’écrit, coule de source. “J’ai beaucoup lu et passé des soirées au cinéma,” dit-elle à propos de ses recherches fortuites pour le nouveau chapitre des aventures musicales passionnantes de Goldfrapp. Elle s’est reprise de passion pour Patricia Highsmith. “Elle écrit de vraies petites histoires maléfiques.” Elle a emprunté « Annabel », protagoniste hermaphrodite du roman poignant de 2010 de Kathleen Winter avant de livrer sa version de cette fable dans sa chanson.
Au bout de deux ans à façonner et enregistrer par morceaux l’album dans l’isolement familier du studio de Bristol de Goldfrapp, Alison s’est trouvée absorbée dans l’univers de ses nouveaux personnages. Elle se réveillait chez elle en chantant des mélodies convenant à l’un ou l’autre d’entre eux qu’elle se sentait obligée d’enregistrer à n’importe quelle heure.
Alison a toujours tenu un rôle central dans l’aspect visuel de Goldfrapp, assumant la responsabilité de la conception des pochettes, du stylisme et des décors de scène. Compte tenu de la nature filmique et quasi fictionnelle du disque, il était logique que sa compagne, la cinéaste Lisa Gunning, s’implique dans sa réalisation visuelle. Lisa est actuellement en train de répondre à l’une des préoccupations d’Alison quand il s’agit de présenter sa musique, en tournant des petits films à partir de cinq de ces moments musicaux intensément visuels. “Elle a fait quelque chose de magnifique. Will et moi lui avons implicitement fait confiance et pour ce qu’on a pu en voir jusqu’à présent, elle a dépassé toutes nos attentes.”
Alison Goldfrapp donne actuellement l’impression de laisser sa vie rétrécir tandis que sa musique s’épanouit en une vision en trois dimensions. Les aventures live de Tales of Us vont débuter avec l’orchestre de la Royal Northern Academy of Music. Pour la première fois, le groupe jouera avec 23 musiciens, au Manchester International Festival.
La voix d’Alison Goldfrapp est d’une clarté spectaculaire aujourd’hui. Avec Will Gregory, elle a conjuré des scènes irréelles et des décors plantés comme des contes qu’ils ont soulignés de sonorités séduisantes. Cet acte intelligent et réfléchi d’ellipse musicale a rarement sonné aussi bien que sur Tales of Us. Il y a une raison pour laquelle elle a utilisé un pronom inclusif dans le titre. L’album n’est pas vraiment à la troisième personne. Il parle de sa réaction émotionnelle et de celle de Will à des histoires uniques et touchantes ; voire, peut-être, à l’orage silencieux qui nous menace tous.
Goldfrapp biography