textes: Lara ORSAL
photos: Rod MAURICE
article original sur: ARTE Concert

 

Live-Stories ARTE Concert

LES INROCKS FESTIVAL 2016 : Jour #02, le petit Commonwealth illustré

par Lara Orsal

Deuxième journée à La Cigale pour LES INROCKS FESTIVAL, et une programmation qui appelle un public tout à fait différent de celui de la veille, plus détendu, peut-être aussi parce qu’un peu moins nombreux ? Du côté de l’affiche, c’est l’Angleterre et l’Australie qui sont mises à l’honneur, via les ambassadeurs d’un certain sens du bien-être commun : Let’s Eat Grandma, RatBoy, Lost Under Heaven et Jagwar Ma.

Aujourd’hui, le drapeau du Commonwealth aurait pu flotter sur La Cigale, puisque tous les artistes programmés font partie de cette communauté de nations anglophones. Mais chacun manie sa langue maternelle à sa manière : Let’s Eat Grandma en joue avec des ritournelles faussement infantiles, RatBoy l’écorche, la bouscule, la remet à jour de force, Lost Under Heaven la proclame voire la braille, et Jagwar Ma la fait onduler indéfiniment. L’anglais dans tous ses états ! En coulisses, l’atmosphère est un peu plus cool que la veille, la logistique est déjà bien rodée et les déplacements, toujours rapides, des équipes de travail, semblent pourtant plus fluides. On n’ira pas jusqu’à dire que le calme règne, mais un rythme de croisière est peut-être trouvé. Et à l’observer, c’est un bien beau ballet. Chacun est à sa tâche, mais il y a toujours un geste ou un mot bienveillant, le temps d’un ‘ça va ?’ réellement concerné, ou bien un regard au sourire appuyé, et puis, que les gens qui se croisent se connaissent déjà ou non, n’est jamais la question. Une communauté qui va de soi.

Vers 16h30, un gentil chaos nous attend dans la loge de RATBOY, qui improvise une petite démonstration de skateboard pour un talentueux réalisateur, après avoir chahuté une journaliste amusée. Interview laborieuse, ils ont trop la connerie. En revanche, c’est parfait pour faire un bon portrait ! Ils signent leur polaroid de leur version du mot ‘incorruptible’ avec un conseil avisé : « Pense par toi-même » ! Et saute comme un petit fou, surtout, car l’esprit du zébulon habite le groupe, qui nous confie son but ultime en concert, faire ‘jumper’ tout le monde, « sinon, c’est que le show est loupé ». Promesse tenue, ces purs lads, insolents comme il se doit, mais policés par leur éducation toute britannique, font trembler le plancher de la salle pendant toute la durée du set. Ils volent un baiser à pleine bouche à une fan dans le public, arrosent les premiers rangs de toutes les bouteilles d’eau disponibles sur le plateau, mais font envoyer des serviettes par leur tour-manager ensuite, et on s’est même laissé conter qu’après avoir échappé un juron à la cantine, devant un jeune enfant, ces petits trublions se seraient confondus en excuses. Punks mignons, comme dirait JD Beauvallet.

Rat Boy  © Rod Maurice

Rat Boy © Rod Maurice

Quand on rencontre LET’S EAT GRANDMA, ces deux amies d’enfance qui affolent à seulement 17 ans des mélomanes de tous bords et tous âges confondus, semblent d’un zen étonnant. C’est plutôt quand on a des kilomètres et des dates au compteur, qu’on aborde un concert de cet ordre sans stress. Leur relation est sans doute un cocon sécurisant qui les en prémunit ? Pas forcément, nous répondent-elles, avouant qu’un grand moment de trac les attend, mais que, par habitude, ce sera pour plus tard, environ une demie-heure avant le show. Dans ce cas-là, c’est plus la crainte de l’instrument qui ‘bug’, de la machine qui faillit, que celle du stress envahissant et du corps qui trahit, qui les tracasse vraiment. Elles semblent assurées quant à là où elles vont, claires et déjà déterminées. Un peu comme le live qu’elles délivrent deux heures après : on n’entendra personne dire que « c’est vraiment bien mais quand même un peu vert », et croyez-nous, c’est quelque chose qu’on entend et qu’on a souvent lieu de dire. Quel synonyme donneraient-elles à ‘incorruptible’, leur a-t-on demandé d’écrire sur leur Pola : la réponse est « conscient ».

Let's Eat Grandma © Rod Maurice

Let’s Eat Grandma © Rod Maurice

Avec LOST UNDER HEAVEN, on est un peu lost in translation : notre journée avec eux est une succession de rendez-vous manqués, d’urgences qui n’en laissent pas le temps, mais qui nous donnent l’occasion de simplement, régulièrement, les regarder. Et si l’on est moins fan du couple à la scène que du couple à la ville, les deux font de jolis tableaux de vie backstage. Une tête qui s’abandonne sur un pan de mur quand l’autre épaule est partie brancher son ampli, un souffle maîtrisé, les yeux fermés en bord de scène, pour se concentrer, des étirements, des dos qui craquent, des mains qui se délient, des vocalises, des regards qui se cherchent en sachant qu’ils se verront ensuite, un timing qui se serre, un couple qui devient duo, et le concert commence.

Quand JAGWAR MA monte sur scène, on sent comme une attente dans la fosse, les spectateurs prêts pour la transe, m’accordez-vous cette dernière danse, tout ça, tout ça. Tout dépend de tant d’éléments, nous expliquaient-ils quelques heures plus tôt dans un café attenant : la salle et son acoustique, la météo, l’humeur du public, son degré d’alcoolisation aussi, hé oui, le déroulé des shows précédents, la part de hasard dans les aspects techniques, la forme des musiciens, et qui sait, plein d’autres paramètres auxquels on ne pense même pas. Sortis de notre entrevue, nous ne savions plus à quoi nous attendre. Sortis du concert, et nous en avons vécu de meilleurs avec eux avouons-le, nous sommes tout de même dans cet état second, typique des musiques aux motifs répétitifs. Et puis, ayant un peu ‘bloqué’ sur les ondulations permanentes du bassin du chanteur, alors qu’il nous avait assuré les yeux dans les yeux qu’il n’y avait « jamais rien de sexuel sur scène », on reste un peu songeur en remontant le boulevard… Mais on pense déjà aux concerts et aux échanges qu’on vivra le lendemain : Adam Naas, Cassius et Formation. Bien entendu, on vous racontera tout !