Live-Stories ARTE Concert

ARTE Concert Festival Jour #03
Chi va piano, va sano

par Lara Orsal

Photo © Remy Grandroques

Photo © Remy Grandroques

La 3ème et dernière journée du festival est consacrée au piano, de Lubomyr Melnyk à Patrick Watson, en passant par Grandbrothers, Francesco Tristano & Bruce Brubaker !

C’est un joli dimanche qui clôture l’ARTE Concert Festival, dont la toute première édition est déjà un grand succès. Complet tous les soirs, public heureux, artistes contents : que demande le peuple ? De la musique continue, pour commencer, me glisse-t-on dans l’oreillette, et c’est vrai qu’il est déjà temps d’aller en écouter, avec LUBOMYR MELNYK. Le pianiste ukrainien a inventé une technique de jeu impressionnante, où les mains sont capables de produire quinze notes par seconde, où la pédale sustain fait résonner les harmonies sympathiquement ou étrangement, et qui nous donne l’impression que la musique s’écoule comme de l’eau, tantôt tranquille, tantôt en cascade, et toujours sans discontinuer. Ravel aurait été jaloux. Après son premier morceau, il se lève, regarde sa montre subrepticement -l’air content, réalise qu’on l’a tous remarqué, s’en excuse, et se lance dans une confidence : « je suis désolé, je regarde l’heure, parce que si je joue plus longtemps que prévu, je vais me faire arrêter ! Bien, habituellement, je joue la pièce qui suit avec deux pianos. Là, ce n’était pas possible, alors je vais en jouer une version adaptée pour un seul piano. Ça s’appelle Butterfly, je l’aime beaucoup, et avec un peu de chance, vous allez aussi l’aimer. C’est un motif minimaliste et ‘hardcore’. Maintenant, s’il y a des pianistes dans la salle qui aimeraient faire pareil chez eux : ne vous inquiétez pas, vous pourrez y arriver au bout de cinq ans de travail ! » Et de s’exécuter, faisant suivre un nouveau morceau, Desert Walk, qui évoque les rois mages et les caravanes sur les dunes, « puis quelque chose se passe, et les chameaux se mettent à marcher de plus en plus vite, après, à vous de laisser courir votre imagination ! ».

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Un changement de plateau plus tard, voici monter sur scène deux jeunes musiciens allemands, Erol Sarp et Lukas Vogel, qui composent à eux deux GRANDBROTHERS et proposent une rencontre du classique et de l’électronique, ce que les titres de leurs morceaux laissent entendre : Studie V,Arctica, Wuppertal, Studie VII, Rotor, Bloodflow, Naive Rider, Ezra Was Right (que Gilles Peterson avait élu meilleur morceau de l’année 2013, excusez du peu). La setlist qu’ils déroulent est hypnotique, reposant sur un piano préparé par ces ex-étudiants en art et musique, qui ont créé leur propre dispositif de marteaux, ne frappant pas que les cordes, mais aussi les bois, pour avoir un jeu encore plus percussif. Au final, on obtient une musique répétitive qui passe du minimalisme à l’esprit clubbing au fil des boucles électroniques. À découvrir !

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La Gaîté est plus concentrée que jamais, le public respecte un silence impressionnant pour l’expérience qui va suivre : une plongée en apnée dans une heure de musique ininterrompue, avecFRANCESCO TRISTANO (qu’on avait découvert chez Aufgang) et BRUCE BRUBAKER (pianiste américain notamment réputé pour ses interprétations de Philip Glass). Sur scène, trônent un piano à queue et un trois-quarts queue, et l’on devine un contrôleur du côté du premier : de quoi lancer des sons qui permettront aux pianistes d’échanger leurs tabourets par deux fois, sans jamais perdre le fil. Les deux virtuoses interprètent un « Simulcast », parfois jouant simultanément, parfois se répondant, Tristano met les mains dans l’entraille de la bête et crée des percussions en frappant la structure ou en pinçant les cordes, Brubaker reste imperturbable même quand les rythmiques défient toute logique, et Philip Glass rencontre Carl Craig, Robert Schumann ou encore John Cage. Méconnaissables. Du grand art !

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On n’a pas senti les heures passer qu’il est déjà celle du dernier concert de ce soir, et de cette première édition de l’ARTE Concert Festival ! Tristes d’avance que tout s’arrête, mais dans un état d’épuisement avancé, les équipes organisatrices sont prêtes pour le grand final que s’apprêtent à nous offrir PATRICK WATSON & FRIENDS. Le public aussi, qui s’attend, comme d’habitude avec le Canadien, à une apothéose, et c’est en effet grandiose. Know That You Know, Good Morning,Hearts, Places, et In Circles installent au sein d’une scénographie onirique, une ambiance difficile à nommer. Délicate et foisonnante, complice et humble, exigeante et subtile, une grande et gourmande célébration de la musique. Étonnant, Patrick Watson reprend Serge Gainsbourg En Relisant Ta Lettre avec cet accent charmant qui donne un autre relief au texte. Surprise vite suivie d’une autre, puisqu’arrivent M et sa chanson Le Mec Hamac, transfigurée. C’est à un jeu de guitare puissant qu’il se prête ensuite avec Joe Grass, le guitariste de Watson, sur les morceaux Bollywood et Grace. Il faut dire que depuis qu’ils se sont rencontrés aux Francofolies de Montréal, ces bêtes de scène avaient très envie de s’y frotter ensemble, à raison ! M cède ensuite sa place à la choriste de Patrick Watson, qui se révèle sous les projecteurs : il s’agit en fait de Marie-Pierre Arthur, dont la chanson Je Me Souviens jouée acoustique réveille les mémoires – la chanteuse québécoise a déjà sorti deux albums par ici ! Les titres Man Like You, Walking Dead et Adventures In Your Own Backyard , tous déjà devenus des standards, achèvent de mettre de la magie dans les cœurs de tous les spectateurs. Après un piano-solo, Patrick Watson nous invite à terminer la soirée là où il l’avait commencée : au foyer-bar ! C’est accompagné de ses musiciens et de tout le public qu’il s’y rend, monte sur les tables et lance a capella Into Giants, avant que les 600 veinards présents ne le rejoignent aux chœurs, émerveillés. C’est par ce geste impromptu que s’achève et se résume bien là ce qui a fondé ce festival : le plaisir d’un petit jam entre amis qui vire au concert emporté par la passion du partage. Vivement l’année prochaine !

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